• Wrong elements

     L’auteur des "Bienveillantes" consacre un documentaire vertigineux aux enfants-soldats d’Ouganda. Un très beau documentaire malgré certaines longueurs.

    scénario: 18/20     technique: 18/20     note finale: 16/20

    Wrong elements

    Ouganda 1989. Un jeune insurgé acholi guidé par des esprits, Joseph Kony, forme un nouveau mouvement rebelle contre le pouvoir central, la LRA, « l’Armée de Résistance du Seigneur ». Une armée qui se développe au fil des années par des enlèvements d’adolescents – plus de 60 000 en 25 ans – dont moins de la moitié sont ressortis vivants du « bush ». Geofrey, Nighty et Mike, un groupe d’amis, ainsi que Lapisa, font partie de ces adolescents, enlevés à l’âge de 12 ou 13 ans. Aujourd’hui ils tentent de se reconstruire, de retrouver une vie normale, et reviennent sur les lieux qui ont marqué leur enfance volée. À la fois victimes et bourreaux, témoins et acteurs d’exactions qui les dépassent, ils sont toujours les “Wrong Elements” que la société a du mal à accepter. Pendant ce temps, l’armée ougandaise traque, dans l’immense forêt centrafricaine, les derniers rebelles LRA dispersés. Mais Joseph Kony, lui, court toujours.

    Dans son roman Les Bienveillantes, Jonathan Littell interrogeait la responsabilité individuelle face au mal à travers le portrait d'un officier nazi. La question hante également le premier documentaire de l'écrivain-journaliste, mais avec une acuité plus terrible encore. Car les « bourreaux » de Wrong elements ont commis leurs exactions quand ils étaient adolescents…
    A partir de 1989, dans l'Ouganda ravagé par la guerre civile, le mouvement rebelle Lord's Resistance Army (l'Armée de la résistance du Seigneur ou LRA) a enlevé plus de 60 000 jeunes pour les transformer en soldats. Dès l'âge de treize ans, Geofrey et Mike ont ainsi reçu l'ordre de piller, de torturer, de tuer. Nighty, elle, a été esclave sexuelle pour les cadres de l'organisation. Après des années de cauchemar, ils ont réussi à fuir et à bénéficier de l'amnistie accordée aux « repentis ».

    Face à la caméra toujours à bonne distance, ils racontent leur tentative de retour à une vie normale : difficile de se réinsérer dans une société dont on a longtemps été l'ennemi, où les familles des morts réclament vengeance… Le réalisateur chronique les retrouvailles des trois amis sur les lieux mêmes de leur passé sanglant. Les herbes hautes ont effacé les traces du quartier général de la LRA, mais Geofrey, Mike et Nighty se souviennent de tout. Alternent les récits terribles et les blagues. Rejouent la guerre dont ils furent les acteurs autant que les victimes. Et redeviennent des enfants…
    Leurs rires, leur appétit de vivre contrastent avec la solitude de Lapisa, une autre « épouse de guerre », aujourd'hui aux portes de la folie. Et avec l'incompréhension de Dominic Ongwen, l'officier supérieur de la LRA dont Littell a pu filmer la reddition, en Janvier 2015. Lui aussi a rendu les armes dans l'espoir d'être amnistié. Mais l'ampleur de ses crimes l'interdit : il est réclamé par le Tribunal Pénal International. Pour Geofrey, le sort réservé à son ancien chef est injuste, car lui aussi a été recruté par la LRA sous la contrainte quand il était gamin…

    Jonathan Littell raconte cette page d'histoire complexe en journaliste, avec des cartons explicatifs pour préciser la chronologie, et quelques images d'archives saisissantes. Mais aussi, et surtout, en cinéaste aux partis pris esthétiques assumés. Les longs plans de la jungle luxuriante sont mis en scène comme des tableaux. La beauté des images, magnifiée par l'utilisation de la musique classique, n'est pas gratuite : elle offre une distance salutaire pour dépasser le simple récit des événements. Et pour prendre conscience de la dimension universelle de la tragédie des enfants-soldats.


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