• Les garçons et Guillaume, à table!

     Un film inclassable! Très réussi. Un exploit! bravo

    scénario: 17/20     acteurs: 17/20     technique: 17/20   note finale: 17/20

    Les garçons et Guillaume, à table!

    Le premier souvenir que j’ai de ma mère c’est quand j’avais quatre ou cinq ans. Elle nous appelle, mes deux frères et moi, pour le dîner en disant : "Les garçons et Guillaume, à table !" et la dernière fois que je lui ai parlé au téléphone, elle raccroche en me disant : "Je t’embrasse ma chérie" ; eh bien disons qu’entre ces deux phrases, il y a quelques malentendus.

    Les garçons – pause – et Guillaume… Petite formule anodine, rengaine innocente qui classe insidieusement ledit Guillaume comme un être à part, différent de ses frangins. Dans sa tête de mioche occidental, le calcul est binaire : s'il ne fait pas partie des garçons, il est donc une (sorte de) fille. Paris ce n'est pas la Polynésie où on accepte un troisième genre : « les mahus », ces hommes qui développent leur part féminine sans la brider, sans que socialement se pose la question de leur sexualité. Élevés comme des femmes dès leur plus jeune âge ou révélés tardivement, parfois homos, parfois hétéros, souvent on ne sait pas et, traditionnellement, on s'en foutait avant que les occidentaux n'y viennent mettre leur nez et leur morale (quand ce n'était pas autre chose…) et en fassent un triture-méninges.
    Peut-être Guillaume eût il été un « mahu », s'il était né sur une île lointaine, sans besoin d'être psychanalysé, catalogué, contraint de choisir son camp entre deux genres : masculin, féminin ? Peut-être aurait-il fait partie de ces imbéciles heureux qui n'ont pas d'histoire (parait-il). C'eût été grand malheur pour nous autres ! On aurait perdu une heure et demie de franche rigolade en sa compagnie ! Car de son parcours personnel, de cette sorte de coming-out inversé, Guillaume Gallienne n'a pas fait un psychodrame narcissique torturé mais il l'a transcendé en une œuvre hilarante, d'une élégance rare, qui nous ramène à nos propres représentations, nos propres histoires familiales –même si la sienne est gratinée et fusionnelle avec une mère pas croyable ! Merci maman Gallienne d'avoir pondu ce fiston épastrouillant.

    On ne naît pas Guillaume Gallienne, on le devient. Autrement dit par lui-même, sourire aux lèvres : « Comment je suis devenu un acteur en devenant ma mère pour réussir à devenir moi ». Des années d'étude, d'attention, d'observation admirative d'une femme, de la femme, de cette femme, de cette mère magnétique, hypnotique, pur produit du gratin de l'aristocratie slave. Autoritaire, incontestable, incontournable, pas piquée des vers ! De celles qui donnent l'impression exaspérante de tout maîtriser et auxquelles il est inutile de s'opposer. Alors, pourquoi lutter ? Regardez ce garçonnet policé aux bouclettes rebelles qui boit les mots, les gestes de sa génitrice, l'adule, l'imite, tente de se fondre en elle, jusqu'à ne plus savoir ce qu'il veut, qui il est, s'il est…
    Plus il grandit, plus le mimétisme devient absolu, jusqu'à s'y perdre et s'y méprendre. Même son père ne sait plus distinguer la voix de la mère de celle du fils. On suit les pérégrinations drolatiques du pauvre Guillaume, presque étonné de ne pas voir ses seins pousser alors que son entourage est persuadé qu'il est gay. Nous voilà plongés, en empathie totale, dans une épopée intime à peine imaginable : dans la peau de Guillaume Gallienne. Ridicule quand il s'agit de s'essayer aux sports, peu crédible quand il tâche d'être viril, incomplet quand il feint d'être une demoiselle… Car les filles, ne les aime-t-il pas ? Course-poursuite effrénée après un hypothétique graal qui n'est autre que lui-même enfoui sous tant d'années à solliciter le regard maternel. Le voilà qui taquine, grattouille sous les aisselles un système étouffant pour le remettre en place. Si la critique est aisée, il a su merveilleusement la transformer en un art joyeux qui sait percevoir, au-delà des apparences féroces, une forme de tendresse inavouée. De ce gamin docile qui se fondit dans les traits d'une fille pour se distinguer aux yeux de celle qu'il aimait, est sorti un acteur caméléon, magnétique, qui donne vie à ses personnages. On le voit passer avec bonheur par tous les âges, tous les sexes, sans que jamais il perde en crédibilité. On sait qu'il interprète les deux rôles principaux (lui et sa mère), et pourtant on est complètement bluffé.

    Sur scène (le film est tiré de sa pièce de théâtre) comme à l'écran, Gallienne est éblouissant. Sans rien renier de l'aspect théâtral il en joue, l'utilise de manière très cinématographique, vivante, rythmée, loufoque à souhait !


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