• La conférence

    Une pure merveille! 

    La conférence

    Au matin du 20 janvier 1942, une quinzaine de dignitaires du IIIe Reich se retrouvent dans une villa cossue à Wannsee, conviés par Reinhard Heydrich à une mystérieuse conférence. Ils en découvrent le motif à la dernière minute : ces représentants de la Waffen SS ou du Parti, fonctionnaires des différents ministères, émissaires des provinces conquises, apprennent qu’ils devront s’être mis d’accord avant midi sur un plan d’élimination du peuple juif, appelé Solution Finale. Deux heures durant vont alors se succéder débats, manœuvres et jeux de pouvoir, autour de ce qui fera basculer dans la tragédie des millions de destins.

    C’est une plongée inouïe dans les zones les plus insondables de l’âme humaine, une immersion vertigineuse autant qu’indispensable au cœur de la banalité du mal le plus absolu tel que l’a formalisé la grande Hannah Arendt. Le film rend compte – au mot près, d’après les minutes du compte-rendu de l’époque – d’une simple réunion de dignitaires politiques et militaires, mais une réunion qui fit basculer dans la tragédie le destin de plus de 10 millions de femmes, d’hommes et d’enfants dont le seul crime était d’être nés Juifs.

    Cette réunion, c’est la conférence de Wansee, du nom du lac au bord duquel se retrouvèrent, le 20 janvier 1942, quelques-uns des plus importants responsables du régime nazi. La présidence est assurée par le général Heydrich, venu de Prague dont il est le gouverneur, par ailleurs chef de la Sécurité du Reich, de la police de sûreté et du service de sécurité et de renseignement. À ses côtés, le célèbre Adolf Eichmann, responsable des affaires juives, Heinrich Muller, chef de la Gestapo, le Docteur Lange, responsable des actions de la police en Lettonie… et une douzaine d’autres hauts gradés ou fonctionnaires.
    L’objet de la réunion : définir et organiser ce qui restera à jamais dans l’histoire sous le terme terrifiant de « solution finale », à savoir l’extermination systématique et industrielle des Juifs d’Europe, sans distinction de sexe ou d’âge.

    Si vous vous attendez à ce que, parmi la bonne quinzaine de militaires, policiers, responsables politiques ou administratifs, il y ait au moins une ou deux réserves sur une décision aussi hallucinante de cruauté et d’inhumanité, perdez d’ores et déjà toute illusion. C’est tout juste si l’un s’émeut tout de même de savoir si les Juifs métissés seront épargnés, de même que ceux qui furent des héros de la Grande Guerre côté allemand… ou si un autre se préoccupe des éventuelles conséquences psychologiques non pas sur les proches des victimes de l’holocauste mais sur leurs bourreaux, soldats possiblement traumatisés par les horreurs qu’ils seraient obligés de commettre, et donc beaucoup moins aptes au combat…

    Il faut dire que l’extermination des Juifs n’est plus en 1942 un sujet de débat. Même si une partie de la population allemande ou des pays conquis ne sait pas ou se voile la face (et encore, revoir Shoah de Lanzmann devrait permettre de douter), le Reich depuis son entrée en guerre (avant, le régime privilégiait l’émigration forcée) massacre les Juifs à tour de bras : en Ukraine, c’est l’exécution par balles de 30 000 malheureux lors du massacre de masse de Babi Yar, dans la banlieue de Kiev (massacre immortalisé récemment par le formidable film de Sergei Loznitsa). Dans les pays baltes, ce sont les camions chambres à gaz qui font leur triste office… Mais voilà : ces « méthodes artisanales » ne sont pas à la hauteur de l’objectif à atteindre : l’anéantissement des 11 millions de Juifs d’Europe. D’où la création des camps d’extermination – en premier lieu celui Auschwitz – et l’organisation de la déportation et du transport de ces millions de Juifs vers les lieux de leur mort certaine. La Conférence de Wansee est avant tout, et c’en est d’autant plus glaçant, une grande discussion autour des questions de logistique.

    Portés par des acteurs qui incarnent remarquablement ces monstres froids, ce sont surtout les mots qui sont importants, des mots qui fuient toute empathie ; les participants évoquent des « unités » pour les hommes et femmes entassés dans les wagons, on parle de « traitement spécial » pour parler d’un génocide ou d' « hygiène raciale » qui rabaisse les Juifs à des transmetteurs d’épidémie à éradiquer… La déshumanisation par le langage, c’est le début de l’horreur.


  • Commentaires

    Aucun commentaire pour le moment

    Suivre le flux RSS des commentaires


    Ajouter un commentaire

    Nom / Pseudo :

    E-mail (facultatif) :

    Site Web (facultatif) :

    Commentaire :