• Tu mourras à vingt ans

    Encore une merveille!! Huitième film de fiction jamais produit au Soudan, "Tu mourras à 20 ans" invite le spectateur à redéfinir la poreuse frontière entre la vie et la mort. Un film rare, intense et d’un courage inouï, qui ose défier la pensée conformiste de toute une société. Un premier long-métrage fort, beau et riche sur la confiscation d’un avenir et l’instrumentalisation des croyances. Tu mourras à vingt ans, premier long-métrage soudanais de fiction depuis plus de deux décennies, propose une envoûtante fable initiatique et politique.  Avec des acteurs et une mise en scène magnifiques de tenue et d’éclat, [le film] s’arroge le pouvoir de nous embarquer dans une tout autre façon de sentir le monde et d’appréhender la vie.

    scénario: 19/20        acteurs: 19/20   technique: 19/20   note finale: 19/20

    Tu mourras à vingt ans

    Soudan, province d’Aljazira, de nos jours. Alors que Sakina et son mari Alnoor présentent leur fils Mozamil à une cérémonie de baptême soufiste, un derviche s'évanouit. La sentence est sans appel : l'enfant mourra quand il atteindra l'âge de vingt ans. Se sentant maudit, le père décide de s'exiler plutôt que de supporter le poids de cette prédiction. Sakina élève donc seule son fils : elle le couve et le protège de tout ce qui pourrait risquer sa vie avant l'heure choisie par le prophète, ainsi que des autres enfants qui le moquent et le harcèlent. Mozamil ne trouve du réconfort qu'à l'école coranique où il se passionne pour les écritures, et auprès de Naima, une voisine de son âge qui lui témoigne une tendresse sans faille. À dix-neuf ans, Mozamil reste un garçon réservé qui accepte son destin avec docilité. Sa rencontre avec Suleiman, esprit libre passionné de cinéma revenu vivre au village, va ébranler ses certitudes. Le temps passe pourtant inexorablement et la date fatidique approche... Un jour, Muzamil a 19 ans....

    S'il est seulement le huitième long-métrage de fiction produit au Soudan, Tu mourras à 20 ans est néanmoins un film à la mise en scène sobre et maîtrisée, qui mêle habilement le réalisme de la vie quotidienne au poids des croyances religieuses. Derrière une narration ménageant subtilement le suspense annoncé par le titre, Amjad Abu Alala délivre un message politique dénonçant le dogmatisme et le déterminisme : un premier film en forme d'appel à la liberté et la découverte d'un cinéaste prometteur.

    Parfois de grands pays s'éveillent à la vie et à la démocratie tout en s'éveillant au cinéma. Le Soudan était ainsi, depuis de longues décennies, absent aussi bien de nos écrans que de nos imaginaires. Le Soudan, pour ceux qui sont un minimum informés, se résumait à une sombre dictature où régnait la charia, et que l'on soupçonnait d'être un des états financeurs du terrorisme international. Mais les Soudanais, après avoir subi pendant presque trente ans le joug du sinistre Omar El Bechir, ont enfin réussi à faire chuter le vieux dictateur. Ils sont donc petit à petit revenus à la vie, et au cinéma : il faut rappeler que l'art cinématographique était vivace dans le Soudan marxiste des années 1960/1970. Ce n'est donc sans doute pas un hasard si, en quelques semaines, deux films soudanais arrivent sur nos écrans. Nous avons programmé le premier en décembre : Talking about trees, merveilleux documentaire sur quatre papys cinéastes et cinéphiles qui tentent avec humour et détermination de rouvrir un vieux cinéma en plein air, entre tracasseries administratives et moralisme islamiste tatillon. Et le second nous arrive en février, une fiction cette fois : Tu mourras à vingt ans, un beau conte au réalisme magique qui est aussi une parabole du réveil démocratique.

    Le héros du film s'appelle Muzamil, et c'est un garçon qu'une malédiction frappe dès sa naissance. Au grand malheur de ses parents, un cheikh soufi en visite dans leur village, dans l’état agricole d’Al-Jazira, leur annonce que le garçon mourra lorsqu'il atteindra l'âge de vingt ans : en effet, un de ses derviches tombe inconscient après avoir adressé les louanges « Gloire à Dieu, Vingt », ce qui est le signe indiscutable de la mort prématurée qu'il prophétise. Toute l'enfance et l'adolescence de Muzamil vont être conditionnées par la prédiction : son père, triste et impuissant, s'en va chercher du travail à la ville puis à l'étranger, le laissant seul avec sa mère qui porte dès lors perpétuellement le deuil. Celui que l'on appelle dans le village « l'enfant de la mort » va lui même se résigner à sa fin prochaine et se plonger dans l'étude du Coran.
    Mais il y a Naïma, une jeune femme qui aime Muzamil depuis l'enfance et qui est bien décidée à vivre son amour, quelle qu'en soit l'issue. Et puis survient un homme d'âge mûr, Suleiman, qui a vécu à l'étranger et qui est revenu au village tout en restant à l'écart. Tout chez cet homme représente la liberté et l'indifférence face aux traditions : il se fait livrer de l'alcool en cachette, vit avec une femme libre, probablement ancienne prostituée et chanteuse… Et, miracle, Suleiman va faire découvrir à Muzamil, à travers quelques bobines conservées, le cinéma d'autrefois, et avec lui le Soudan libre des années 60/70. Toute la saveur du paradoxe réside dans le fait que c'est un vieil homme, dans la dernière ligne droite de sa vie, qui représente modernité et liberté alors que le jeune homme avait fini par accepter le sort inéluctable que lui réservait une tradition intangible.

    Et de fait on peut deviner que le combat du cinéaste pour la liberté s'incarne dans le personnage de Suleiman. Mais Amjad Abu Alala filme aussi avec infiniment de beauté et de tendresse les rituels et les couleurs de la ruralité soudanaise, et dessine le portrait de personnages extrêmement simples et touchants, à l'image des parents de Muzamil, profondément attachés à leurs croyances mais tout aussi profondément bienveillants et aimants. Comme si le le réalisateur soudanais voyait le futur de son pays dans un (r)éveil critique de ses citoyens sans pour autant faire table rase d'une culture millénaire.

     


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