• L'ombre de Staline

    Voilà le cinéma comme je l'aime!!! Le film en lui-même est magnifique et en plus, on apprend quelque chose!! 

    scénario: 19/20      acteurs: 19/20   technique: 19/20    note finale: 19/20

    L'ombre de Staline

    Pour un journaliste débutant, Gareth Jones ne manque pas de culot. Après avoir décroché une interview d’Hitler qui vient tout juste d’accéder au pouvoir, il débarque en 1933 à Moscou, afin d'interviewer Staline sur le fameux miracle soviétique. A son arrivée, il déchante : anesthésiés par la propagande, ses contacts occidentaux se dérobent, il se retrouve surveillé jour et nuit, et son principal intermédiaire disparaît. Une source le convainc alors de s'intéresser à l'Ukraine. Parvenant à fuir, il saute dans un train, en route vers une vérité inimaginable...

    HoLoDoMor… Quatre syllabes, quatre notes échappées d’un requiem secret, que murmurent les morts aux oreilles des vivants, qui sonnent comme un remords, une peine interdite, un chagrin sans paroles, puisqu’aussi bien les grandes douleurs sont muettes, surtout lorsqu’elles sont tues d’une balle en pleine tête.
    Quand en 1933 Gareth Jones entreprend d’enquêter sur l’incroyable développement économique de l’URSS alors que le reste du monde capitaliste subit les affres de la Grande Dépression, il n’a jamais entendu prononcer ce mot mystérieux ; mais au delà de l’empathie qu’il éprouve pour la Patrie des Travailleurs, et sa conviction que la Grande Bretagne devra s’allier à elle face à la menace hitlérienne, une question le taraude : comment diable une nation majoritairement paysanne peut-elle financer les gigantesques travaux d’industrialisation à marche forcée du premier plan quinquennal ? Qui paie et avec quoi ?
    Armé de son culot, de son Leica et d’une lettre d’accréditation signée du Premier Ministre Lloyd George, Jones débarque à Moscou bien décidé à décrocher une interview de Staline en personne, mais il lui faudra vite déchanter : baladé par les officiels, éconduit par le directeur du bureau du New York Times, surveillé par les agents du Guépéou, il comprend qu’il a mis le doigt sur une question sensible. Faussant compagnie à ses anges gardiens, il pénétre dans une région interdite aux touristes, au journalistes et aux curieux : l’Ukraine, grenier à blé des Soviets, « l’or de Staline »… L’or des morts…

    Aujourd’hui connu sous le nom de Grande Famine, provoquée sciemment par le Maître du Kremlin pour servir ses desseins économiques (la mutation industrielle) et politiques (la mise à genou d’un pays-satelllite vital mais rebelle), l’Holodomor demeure dans l’angle-mort des génocides du xxe siècle, qui n’en fut pas avare. En racontant l’histoire vraie de Gareth Jones, sorte de Tintin au Pays des Soviets, un peu naif, un peu boy-scout, maladroit avec les femmes mais intransigeant sur les questions éthiques, Agnieszka Holland place le spectateur dans la peau de Candide, celui qui regarde le monde avec des yeux de nouveau-né, sans calcul ni hypocrisie. Alors quand Jones soulève enfin le voile drapant ces villages Potemkine, et que la réalité lui saute au visage avec la sauvagerie d’un fauve affamé, nous sommes frappés comme lui par l’horreur de ce qu’il découvre, et soulevé par la même rage à rétablir l’honneur des millions qui furent trois fois tués : la première fois par la faim, la deuxième fois par le mensonge, la troisième fois par l’oubli.
    Car le vrai Gareth Jones a témoigné en vain de ce qu’il avait vu : harcelé et ridiculisé par la puissance de la Propagande qui usa de tous ses relais pour le décrédibiliser, sa voix se fit inaudible, et on l’oublia. Ce qui nous renvoie à d’autres tragédies, d’autres génocides et d’autres silences, qui nous parlent encore aujourd’hui ; et si le message n’était pas assez clair, Agnieszka Holland place ouvertement son film sous les auspices de George Orwell, dont elle fait ici un personnage secondaire, coryphée discret dont les citations extraites de son chef d’œuvre La Ferme des animaux forment autant de commentaires aussi acerbes qu’implacables sur la funeste aventure qu’est en train de vivre Mr. Jones, et avec lui le reste de l’humanité… Et c’est pourquoi au-dessus des plaines d’Ukraine les corbeaux croassent encore : HoLoDoMor…


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