• Beautiful Valley

    Un très très joli film sur la fin d'un monde, celui des kibboutz. C'est filmé avec douceur et je pense que nous avons affaire à un grand réalisateur dont j'attends le prochain film avec impatience.

    scénario: 18/20   technique: 18/20   acteurs: 18/20   note finale: 18/20

    Beautiful Valley

    "C'est cette idée de partage qui nous a plu en arrivant !". Ainsi parle le meilleur ami d’Hanna, vétéran comme elle du kibboutz qu’ils ont contribué à créer. Mais à l’âge de 80 ans, Hanna est poussée plus ou moins délicatement vers la sortie par la nouvelle génération. Les temps changent, les utopies sont désormais des souvenirs et la privatisation du kibboutz, au bord de la faillite, semble inévitable. Inévitable ? Pas pour Hanna qui va s’y opposer. Même si c’est sa propre fille qui orchestre le démantèlement de ce rêve de toute une jeunesse.

    Elle en avait pourtant rêvé, Hanna, de cette terre d’abondance « où coule le lait et le miel ». Elle avait déboulé d’Europe où les Juifs étaient persécutés et elle avait aimé cette idée de partage qui unissait les pionniers venus là pour inventer une société idéale sans hiérarchie, où les hommes et les femmes étaient égaux entre eux, mettaient ensemble leurs forces pour faire produire le meilleur à la terre, partageaient tout et se croyaient définitivement solidaires. Nul besoin de se soucier de sa subsistance individuelle, le kibboutz prenait en charge les besoins matériels et chacun donnait le meilleur de lui-même pour construire une société socialiste, laïque, forte et conquérante, comme il ne s’en est pas vu beaucoup.

    A un petit vol d’oiseau du premier kibboutz créé en 1909, Hanna avait contribué à bâtir de toutes pièces ce kibboutz Gesher, tout près de la frontière Jordanienne, impulsé par une poignée de Juifs de Palestine, d’Allemands, vite rejoints par des Polonais… sur des terres acquises grâce à l’aide d’Edmond de Rothschild en 1939 dans une riante vallée au nord d’Israël.
    Elle y avait rencontré son mari, son ami Shimon… Tous avaient travaillé dur, dans des conditions difficiles, de celles qui scellent les amitiés fortes, et tous se sentaient indestructibles, sûrs de leur choix. Pour cet idéal, ils avaient quitté père et mère, abandonné une carrière individuelle de musicien, d’écrivain : leur Utopie comptait plus que leur destins personnels… Les enfants étaient élevés collectivement et même les vêtements passaient de l’un à l’autre : abolir la notion de propriété individuelle pour s’attacher à l’essentiel… on parlait, on étudiait, on faisait de la musique ensemble, on chantait.
    Hanna a maintenant plus de 80 ans, et si son utopie bat de l’aile, elle continue à s’acharner à transmettre des idéaux dont même les plus vieux finissent par ne plus parler. Dans son bureau on aperçoit un portrait de Lénine…

    Le libéralisme a gagné du terrain, le kibboutz est en faillite et elle vit mal qu’on veuille la mettre sur la touche alors qu’il est impensable pour elle de ne pas continuer à participer de sa petite pierre à l’édification d’un avenir meilleur. Mais l’utopie n’est plus ce qu’elle était, seul est resté le nationalisme, et il a désormais une sale gueule sans cette ambition généreuse qui leur faisait ignorer les souffrances sur lesquelles ils construisaient leur monde idéal. Sa fille quitte le kibboutz pour aller faire carrière, et elle-même est contrainte, contrairement aux principes d’origine, d’ouvrir un compte en banque personnel ; ceux qui peuvent s’en vont, les autres restent chacun chez soi et les vieux sont de trop : « tu me piques mon travail » lui dit une de ses voisines plus jeune, les enfants ont disparu du décor… Le grand élan a accouché d’une société individualiste et cruelle, « moderne » vous diront certains. Les cultures sont protégées par des barbelés et un mirador, mais les arbres doucement balancent leurs branches au vent : « les palmiers sont toujours les palmiers, les étangs des étangs… peu importe l’idéologie qu’il y a derrière tout ça » dit son vieil ami Shimon dont il ne lui reste désormais qu’une voix et une image sur une VHS qui aurait dû faire partie d’une exposition qui n’aura pas lieu… « Nous avons tant travaillé et maintenant nous devrions combattre nos fils ? » soupire-t-il, désabusé.

    C’est un très beau film doux et triste, dont la lenteur va bien avec l’âge qui gagne, la pensée y a le temps de se laisser guider par le regard d’Hanna, jeune femme qui ne s’est pas vue vieillir tant elle restait accrochée à une utopie qui n’en finit pas de se déliter et la laisse sur le carreau, désabusée, mais toujours convaincue qu’elle a eu raison de tenter l’aventure…


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